Une petite polémique s'est faite sur NessNews (Envoyés Spéciaux Algériens) qui concerne, entre autres, l'étymologie : est-ce que Yennayer est berbère ?
Mustapha Benamara dit non, parce que "Le nom du mois de janvier provient du dieu Janus, le dieu aux deux visages regardant dans des directions opposées symbolisant la connaissance du passé et celle de l’avenir" (dans la mythologie romaine). Mourad Berdaoui répond que si, parce que "Plusieurs régions berbères disent YEN ou YIWEN et AYER veut dire la LUNE ou MOIS, les kabyles l'appellent AGOUR et les chaouis AYOUR. Le tout veut dire le PREMIER MOIS."
Evidemment, en ce qui concerne l'origine du mot c'est Benamara qui a raison. Le mot latin
ianuarius "janvier" est attesté depuis deux mille ans (on peut le lire partiellement déjà aux
Fastes d'Antium, faits avant l'Empire). Le poète Ovide l'associe déjà avec le dieu Ianus (Janus):
"Germanicus, voici qu'il vient t'annoncer une année heureuse
Janus, le premier dieu présent dans mon poème."
Pour soutenir l'origine berbère que cite Berdaoui, il faudrait non pas seulement expliquer pourquoi les Romains, agriculteurs depuis toujours, auraient pris leur calendrier agricole tardivement des Berbères qu'ils ont conquis ; et pourquoi la forme latine est "ianuarius" au lieu de l'attendue "ianuiurus" ou quelque chose comme ça ; et pourquoi ce serait le seul mois du calendrier berbère dont le nom ne serait pas d'origine latine ; mais aussi pourquoi tous les Berbères utilisent toujours une forme plus proche au latin que ce n'est à l'origine berbère proposée, alors que "yan" pour "un" ne se trouve qu'au Maroc. Même ce prétendu mot "AYER" n'éxiste pas ; dans toutes les langues berbères ce mot contient la voyelle ou. Ce n'est pas une nouvelle découverte, comme dirait Berdaoui, que Yennayer dérive de Ianuarius ; on trouve cette étymologie dans tous les articles sérieux depuis longtemps, dont
un bon article de Plantade disponible à Tamazgha.fr.
Mais en ce qui concerne la culture, la logique de Benamara est beaucoup moins solide : le fait que le calendrier berbère est d'origine latine serait une preuve que "yennayer n’est pas plus berbère qu’il n’est … zoulou !" Selon ce critère, il faudrait également dire que le bourek et le tchektchouka ne sont pas algériens, ayant été empruntés aux turcs beaucoup plus tard ; ou encore que l'alphabet arabe n'est pas arabe, vu son origine araméenne. Mais ces conclusions seraient absurdes. Toutes les cultures du monde sont mélangées, et si on écarte tout ce qui est d'origine étrangère, on se trouvera presque dénué, soit-on berbère ou arabe ou français ou même japonais. Deux mille ans de célébrations berbères suffisent pour rendre Yennayer très berbère, quoique soit son origine lointaine.
Et ajoutons que, dans les régions où les arabophones le célèbrent toujours, on peut même dire sans paradoxe qu'il est devenu arabe. Le mot Yennayer ou Nnayer est bien connu en arabe, non seulement en l'Algérie d'aujourd'hui mais déjà en Andalousie depuis des siècles ; on peut le trouver dans le livre al-Iqd al-Farid d'Ibn Abd Rabbih, mort 860 AD, qui a donné à ses lecteurs des conseils diététiques pour chacun des 12 mois solaires :
في شهر يناير تشرب شراباً شديدياً كل غداة. وفي شهر فبرير لا تأكل السلق. وفي مارس لا تأكل الحلواء كلها وتشرب الأفسنتين في الحلاوة. وفي أبريل لا تأكل شيئاً من الأصول التي تنبت في الأرض ولا الفجل. وفي مايه لا تأكل رأس شيء من الحيوان. وفي يونيه تشرب الماء البارد بعد ما تطبخه وتبرده، على الريق. وفي يوليه تجنب الوطء. وفي أغشت لا تأكل الحيتان. وفي سبتمبر تشرب اللبن البقري. وفي أكتوبر لا تأكل الكراث نيئاً ولا مطبوخاً. وفي نبنبر لا تدخل الحمام. وفي دجنبر لا تأكل الأرنب.